L’exclusion de garantie, une équation insoluble à géométrie variable ?
Le débat de l’exclusion de garantie au sein des contrats d’assurance est sempiternel et fait couler beaucoup d’encre à un point tel qu’il donne toujours lieu à un contentieux abondant.
Que nous dit aujourd’hui la Cour de cassation à ce jour, en particulier à travers deux arrêts rendus les 6 février 2020 et 5 mars 2020, à propos de l’exclusion de garantie ?
Rappelons qu’aux termes de l’article L113-1 du Code des assurances, « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. Toutefois, l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré. »
Ce texte fixe les conditions de validité de l’exclusion de garantie : celle-ci doit, d’une part, être « formelle », d’une part, et, d’autre part, « limitée » en ce sens qu’elle ne doit pas vider la garantie de sa substance.
Les cas d’application sont aussi variés qu’il existe de contrats d’assurance et de clauses d’exclusion. Les juges appréciant chaque clause in concreto, celle-ci demande à chaque fois une analyse approfondie afin de conclure ou non à son caractère formel et limité.
Ceci dit, la Cour de cassation a donné des « indices » permettant une première approche globale du caractère formel et limité de ces clauses d’exclusion : une clause d’exclusion ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée (Cass. Civ. 1ère, 22 mai 2001, n° 99-10849). Il s’agit d’un arrêt de principe dont la solution est reprise depuis par la Cour suprême (voir par exemple : Cass. Civ. 3ème, 14 février 2019, n° 18-11101).
Si une telle solution parait limpide, elle est plus complexe qu’elle n’y paraît tant elle donne toujours lieu à un vif débat devant le Juge dont l’appréciation reste souveraine en la matière selon l’espèce considérée.
Dans son arrêt en date du 6 février 2020, à propos d’une assurance de Responsabilité Civile Exploitation, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation a jugé que la clause d’exclusion qui lui était soumise respectait les conditions fixées par l’article L.113-1 du Code des assurances (Cass. Civ. 2ème, 6 février 2020, n° 18-25377)
En l’espèce, la société S avait confié à la société P la vérification d’une chaudière industrielle impliquant la démolition d’une sole en béton, cette opération entraînant l’arrêt momentané de la production. La société P avait sous-traité la prestation à la société I. Des impacts avaient alors été découverts sur les canalisations découvertes après démolition de la sole.
La société I faisait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux de condamner son assureur RC exploitation à le garantir du seul préjudice invoqué par le maître d’ouvrage à l’exclusion du préjudice d’exploitation.
En effet, la police d’assurance dont il s’agissait contenait une clause d’exclusion formulée en ces termes, « les pertes indirectes de quelque nature que ce soit, manque à gagner et paralysies. »
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la société I car elle a considéré que la cour d’appel « ne s’est livrée à aucune interprétation de la clause d’exclusion, en a exactement déduit qu’elle était formelle et limitée » et ce en estiment que la clause « définit expressément ce qui relève du préjudice de pertes d’exploitation. »
Ainsi, la solution retenue dans cet arrêt privilégie le contenu même du contrat d’assurance au détriment de l’assuré qui pensait bénéficier de la lecture habituellement faite de l’article L113-1 du Code des assurances pour contester le caractère limité de l’exclusion de garantie.
Dans son arrêt en date du 5 mars 2020, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation (Cass. Civ. 3ème, 5 mars 2020, n°18-15.164) traite de plusieurs problématiques liées à l’assurance RC décennale dont celle de l’exclusion de garantie.
En l’espèce, un particulier avait confié à la société O la réalisation de travaux de réhabilitation et d’extension d’un immeuble.
La police d’assurance de Responsabilité Civile Décennale de la société O contenait une clause d’exclusion aux termes de laquelle l’assureur ne garantissait pas « les dommages aux ouvrages ou travaux que (l’assuré a) exécutés ou donnés en sous-traitance […] ainsi que les frais divers entraînés par ces dommages. »
Suite à la survenance de désordres, la victime a assigné l’assureur de la société O, estimant que la clause d’exclusion susvisée avait pour effet de vider le contrat de sa substance.
Cependant, considérant que cette clause « laissait dans le champ de la garantie les dommages causés aux tiers », la Cour de cassation a conclu donc que cette clause d’exclusion était formelle et limitée.
On voit bien, au travers de ces deux arrêts, que, si l’article L.113-1 du Code des assurances paraît constituer une arme redoutable entre les mains d’un assuré pour contester la validité d’une exclusion opposée par son assureur, la sanction de l’exclusion de garantie n’est pas systématique et chaque clause d’exclusion doit être appréciée à l’aune des spécificités contextuelles et contractuelles qui sont les siennes. Soit une équation à géométrie variable qui prend une acuité particulière avec l’épidémie du Covid-19 et dont la solution n’est pas évidente …
Rien n’est donc acquis : quand bien même des principes généraux pourraient être dégagés, une analyse attentive ancrée dans la réalité devra toujours être réalisée de manière complémentaire, étant rappelé que le test du caractère formel et limité ne suffit pas puisque la clause d’exclusion doit également respecter la condition de forme posée par le dernier alinéa de l’article L.112-4 du Code des assurances, mais c’est une toute autre question…