La place de l’assurance dans les opérations M&A

L’importance des problématiques assurantielles, le bénéfice qu’il y a à les maîtriser et les risques auxquels s’exposent les entreprises si elles n’en tiennent pas compte sont pris en compte, de plus en plus souvent, dans le cadre des opérations de fusion-acquisition. Les questions d’assurance doivent être traitées de manière à la fois financière et juridique. La dimension juridique des contrats d’assurance est en apparence prédominante, car leur valeur dépend largement de critères plus qualitatifs : exclusions contenues dans les contrats, reconstitutions des garanties, périmètres assurés, définition des sinistres, etc. Elle se mêle à la dimension quantitative lorsque le montant disponible des garanties est défini par une clause du contrat d’assurance.

Il s’agit ici d’éclairer l’essentiel des points en matière d’assurance qui retiendront l’attention des différents intervenants lors d’une opération de M&A (équipe interne de l’acquéreur, avocats, auditeurs…), en se concentrant sur le traitement des sujets qui concernent les lignes financières et l’assurance de responsabilité civile. Le travail juridique dans ce domaine doit prendre en compte le droit civil, mais aussi intégrer largement les spécificités du droit de l’assurance qui contient bon nombre de normes et de pratiques particulières. Ces deux branches du droit ont chacune leur vocabulaire et logique propres qui doivent nécessairement être combinés afin de mener une due diligence efficace et pertinente.

La dernière partie de cette série d’articles se consacrera aux enjeux de conformité des intermédiaires en assurance. En effet, lorsqu’un projet d’acquisition de ce type d’activité est envisagé, ces problématiques doivent être très sérieusement appréhendées compte tenu des nombreuses et nouvelles réglementations applicables (DIA, DDA, loi Hamon, etc.) et du niveau de contrôle élevé exercé en ce domaine par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et Réglementaire (« ACPR »). Les investisseurs doivent donc prendre en compte la capacité de la cible à se conformer à la réglementation, d’une part, pour ne pas faire face à des sanctions dans l’avenir (d’autant que la tendance est à leur inflation) et, d’autre part, pour évaluer le montant des investissements à réaliser post acquisition afin de mettre la cible en conformité avec la réglementation. Cette analyse permettra ainsi de fixer la juste valorisation de la cible en intégrant les risques potentiels encourus et le budget futur à consacrer postérieurement à l’acquisition.

Le présent article a donc pour objet de présenter les principaux enjeux assurantiels en M&A. Cet article est avant tout illustratif et il n’a pas vocation à être exhaustif. La matière est, en effet, extrêmement vaste et à chaque fois différente en fonction des domaines d’activité. En outre, chaque opération peut receler des particularismes singuliers.

L’audit d’assurance n’est pas toujours réalisé à l’occasion des due diligences menées dans le cadre de ces opérations d’acquisition. Il constitue pourtant une source de valeur importante pour l’acquéreur car il permet d’identifier et de répondre aux risques de l’entreprise. Cela passe parfois par la renégociation des contrats pour mieux répondre aux besoins de la nouvelle entité, s’il y a lieu. L’évaluation du risque d’assurance nécessite quant à lui une bonne connaissance du secteur d’activité de la cible et des polices.

A l’occasion des travaux de due diligence réalisés en amont de l’acquisition, les principaux points devant être abordés sont les suivants :

I. Le recensement des polices de la cible

Le recensement des polices de la cible consiste d’abord à identifier leur existence puis à s’assurer qu’elles sont toujours en vigueur eu égard notamment aux paiements des primes qui les concernent. Il s’agit d’une vérification extrêmement formelle portant sur la validité des polices, en s’assurant de la présence des attestations nécessaires et du paiement effectif des primes. Les attestations de validité doivent être établies par les personnes habilitées à le faire. On préférera toujours en faire la demande à l’assureur plutôt qu’aux intermédiaires, qui ne peuvent garantir la validité d’une police que sur délégation de ce dernier.

Dans un second temps, la description des caractéristiques objectives des polices doit être réalisée, principalement : nature, durée, franchises, plafonds des garanties, montants des primes.

2. L’analyse du contenu des polices

2.1 La variété des polices

Généralement, toute entreprise auditée aura contracté des garanties portant sur ses biens, sa responsabilité civile , ses différents types d’assurances obligatoires, le plus souvent liées à une activité spécifique (il existe plus de 100 assurances obligatoires en droit français) ainsi qu’éventuellement, sous une forme ou une autre, la responsabilité civile de ses mandataires sociaux.

En outre, des garanties peuvent être souscrites pour des cas de figure plus particuliers et qui doivent attirer l’attention de l’auditeur A titre d’exemple, il s’agit des polices couvrant les risques suivants :

  • Kidnapping et risque politique
    Notamment pour les firmes transnationales opérant dans des zones sensibles du globe.
  • Contrats spécifiques contre le risque fraude et cyber.
    Ces contrats se sont multipliés depuis une dizaine d’années. Il s’agit le plus souvent d’assurance de dommages, mais les montants de garanties accordés sont souvent assez limités, d’où un risque pour l’acquéreur.
  • Assurance-crédit et affacturage.
    Ce type d’assurance, répandue, était jusqu’à présent réservé aux grandes entreprises. Le développement de la vente à distance et des différents moyens de paiement la rendent plus accessible à des entreprises plus petites.

2.2 Clauses principales

Parmi ces éléments, la définition du périmètre des activités garanties est la clause des contrats qu’il faut regarder avec le plus de précaution. Il s’agit de la clause qui concentre l’attention des parties lors de la négociation des contrats. Plus encore que l’épuisement des garanties, c’est leur périmètre qui déterminera le plus souvent la présence, ou non, d’une garantie contractuelle en cas de sinistre. Ne s’agissant pas d’une exclusion, mais d’une condition de garantie, elle est parfois négligée lors d’un examen rapide. Il est donc nécessaire que l’acquéreur ait une vision claire des activités de la cible qui rentrent dans le périmètre des garanties souscrites et à l’inverse, de celles pour lesquelles l’entreprise n’est en réalité pas couverte. La phase de due diligence doit permettre de vérifier que les activités garanties par les contrats d’assurance souscrits correspondent bien aux activités réelles de l’entreprise-cible.

En la matière, les zones d’ombre sont nombreuses en raison de la difficulté qu’il y a à formaliser précisément toutes les activités d’une société, surtout si elle est de taille moyenne. De nombreuses PME peuvent être amenées à fournir certaines prestations de manière occasionnelle sans qu’il ne s’agisse réellement d’une activité figurant dans leur offre commerciale.

La définition des entités assurées (personnes morales et parfois personnes physiques) est la seconde source de non-garantie en dehors des exclusions. Elle prend le plus souvent la forme d’une définition en termes globaux, assortie d’une liste, non limitative d’entités. Périmètre par définition mouvant dans un groupe de société, cette clause retiendra toute l’attention de l’auditeur.

La durée des contrats est aussi un sujet important à regarder avec attention lors de la due diligence. Bien que la tacite reconduction de ces derniers soit la règle en France, il n’est pas rare de rencontrer des contrats à durée ferme. Leur renouvellement nécessite une reconduction expresse ou, le plus souvent, une renégociation de toute la police correspondante.

Les contrats de droit étranger, notamment anglais, sont le plus souvent des contrats à durée ferme. La tacite reconduction est quasiment absente des pratiques anglo-saxonnes. Il devient systématique d’évaluer les polices qui s’appliqueront aux exercices futurs en fonction des sinistres en cours ou passés ayant entraîné une mise en œuvre des garanties la même année que l’acquisition de l’entreprise.

L’existence de programmes d’assurance structurés en lignes successives ou avec différents « coassureurs », de règle pour des garanties importantes, est source d’une attention particulière. En effet, les différents assureurs peuvent avoir une interprétation différente des mêmes clauses, avec une incidence sur la mise en œuvre des garanties en cas de sinistre.

Enfin, la pratique, fréquente, des rachats partiels d’exclusions crée une forte complexité contractuelle, souvent délicate à interpréter pour les entreprises assurées.

3. L’analyse du transfert des polices

Le transfert des polices est un exercice subtil, au croisement du droit civil et du droit des assurances.

3.1 Le transfert des polices en cas d’acquisition d’actif :

En cas d’acquisition du fonds de commerce et non des titres de la cible, le transfert des assurances est prévu par l’article L.121-10-1 du Code des Assurances. : « En cas de ….d’aliénation de la chose assurée, l’assurance continue de plein droit au profit …..de l’acquéreur, à charge par celui-ci d’exécuter toutes les obligations dont l’assuré était tenu vis-à-vis de l’assureur en vertu du contrat.

Il est loisible, toutefois, soit à l’assureur, soit à ….l’acquéreur de résilier le contrat. L’assureur peut résilier le contrat dans un délai de trois mois à partir du jour où l’attributaire définitif des objets assurés a demandé le transfert de la police à son nom. »

La transmission de la police doit donc s’effectuer de plein droit et automatiquement.

L’assureur ou le nouvel assuré sont toutefois libres de résilier la police par la suite sous réserve de respecter le préavis.

Le transfert automatique ne s’applique toutefois pas :

En cas d’aggravation ou de modification du risque
Pour les contrats d’assurance de personnes (homme-clef, …)
Pour les contrats d’assurance de véhicules terrestres à moteur

3.2 Le transfert des polices en cas d’acquisition de titres :

Lorsque l’acquisition prend la forme d’un achat de titres, ce qui est le cas de loin le plus fréquent, la personnalité morale de la cible n’est pas modifiée. Dans ces conditions les polices d’assurance devraient rester en place. Néanmoins, il est impératif de pousser l’analyse afin d’analyser les cas de résiliation de la part de l’assureur à l’issue de l’opération pour des raisons contractuelles ou encore en raison des garanties souscrites sur une base intuitu personae.

La clause dite d’aggravaton du risque peut être utilisée par l’assureur si l’opération conduit à modifier le contenu de l’activité de la cible, a fortiori en cas de fusion. Ces modifications du risque assuré devront être déclarés préalablement à l’assureur.

Les polices « homme-clef » ou couvrant la responsabilité civile des mandataires sociaux (RCMS) peuvent également constituer un sujet épineux à regarder avec attention. En effet ces polices sont appelées à changer à l’issue de la majorité des transactions. Autrefois rares, ces contrats sont devenus très courants. La quasi-totalité des mandataires sociaux de sociétés cotées sont désormais couverts par des assurances RCMS. Ces garanties couvrant la responsabilité personnelle des dirigeants revêtent toujours, en cas de rapprochement d’entreprises, une importance élevée. Le changement de contrôle de la société constitue, pour les contrats « RCMS » un élément à déclarer à l’assureur. En outre, ce type d’assurance est toujours globalisé par les assureurs au sein d’un même groupe de sociétés, le plus souvent par un contrat unique.

Un autre sujet à analyser de près, concerne le cas où l’acquéreur a déjà mis en place une police de groupe. Il convient alors d’évaluer les avantages à l’étendre à la cible, ce qui implique une extension de ladite police et la résiliation des contrats d’assurance de la cible en cours. L’analyse des conditions de résiliation post acquisition par la cible de ces polices doit alors être menée.

4. L’analyse des mises en jeu des polices

Les due diligence d’assurance bien réalisées peuvent également intégrer une facette plus « métier » et plus opérationnelle des contrats souscrits, ce qui se révèle souvent d’une grande valeur pour la parfaite appréciation de la cible.

L’expertise juridique peut ainsi aller beaucoup plus loin que la seule certification des contrats d’un point de vue juridique.

Les points pouvant être abordés avec intérêt sont par exemple :

  • la sinistralité passée de l’entreprise ce qui peut permettre d’évaluer son niveau de compétence et de risque.
  • les mises en œuvre antérieures des polices et les difficultés éventuelles d’obtention des indemnisations. Il s’agit là d’apprécier concrètement l’efficacité et les limites des polices souscrites.
  • les sinistres en cours et non encore réglés afin d’évaluer le montant restant à charge pour la cible.

Pour le praticien de M&A, l’opportunité de réaliser un audit assurance étendu lors de la phase des due diligence est ainsi particulièrement instructif et source d’informations tangibles sur la qualité de la cible. Cette analyse sera d’autant plus utile qu’elle aura été réalisée par des spécialistes de l’audit assurance connaissant les spécificités de la matière.

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Comme nous venons de le présenter, l’audit d’assurance dans les opérations de M&A a un fort contenu juridique qui va de l’identification des polices jusqu’à l’étude fine de la sinistralité, passée et en cours, de la cible.

Les enseignements à tirer de ces analyses sont très riches, tant en termes de connaissance de la cible que de sa valorisation. Les juristes amenés à négocier les termes des contrats d’acquisition pourront, de concert avec les juristes étant intervenus sur la due diligence assurance, proposer des ajustements en termes de prix ainsi des solutions destinées à prendre en compte les éléments mis à jour par cette due diligence très technique.

Nous compléterons ultérieurement ce premier article par un article consacré aux enjeux de conformité des intermédiaires en assurance, puis par un article présentant les assurances de garantie de passif